Monsieur José,
Après une année passée à vos côtés, j’éprouve le besoin de vous parler de moi, de vider mon petit cœur d’enfant, de tout juste dix ans.
Aujourd’hui, vous me remettez mon bulletin scolaire, un bulletin de notes acquises au cours d’une année de travail. Oh, je le sais, vous n’êtes pas satisfait de mes résultats…
Je sais, j’ai parfois été difficile à supporter ; «ma patience a des limites !!! » disiez-vous. Comme je vous comprends ! Combien de zéro, de points d’exclamation avez-vous dû écrire sur mes copies ! Combien de notes à mes parents pour crier votre désolation ou votre impuissance face à tant d’incompétences, tant d’oublis, tant d’incompréhensions !
Mais qu’auriez-vous fait si un enfant en chaise roulante avait intégré votre classe ? Qu’auriez-vous fait si un malvoyant était venu nous rejoindre ? L’auriez-vous forcé à marcher ou à voir ?
Seulement, moi, mon problème, c’est que ma maladie est « invisible ».
Votre leitmotiv a été de ne pas faire de différences. Pourtant, Monsieur José, moi, je suis différent, et c’est un fait ! Sans le vouloir et sans responsabilité aucune !
Ca me fait penser aux gauchers qu’on obligeait à écrire de la main droite pour ne pas « faire de différence »…
Savez-vous seulement ce que j’ai enduré durant ces 10 années ? Depuis ma naissance fort prématurée, l’aide des kinés pour m’apprendre à marcher, des logopèdes, psychomotriciens, psychologues, neuropsychologues, neuropédiatres, kinésiologues et j’en passe !
De docteur en docteur, un diagnostic est enfin tombé : TDA-H. Que de souffrance derrière ces initiales ! Différent, hors norme, inaccepté… c’est ce que je suis devenu.
La tête sur une autre planète, des maladresses trop fréquentes, des oublis perpétuels, des cahiers non soignés, des colonnes mal tracées, des lettres mal formées… Que de difficultés à surmonter !!!
Sans compter celles à se faire des amis qui ne cessent de me rappeler à chaque instant que je suis « différent ».
Et pourtant, j’ai un grand cœur, j’ai plein d’imagination, un enthousiasme débordant pour les découvertes et un courage… mais quel COURAGE, Monsieur José, vous ne savez pas à quel point ! Mais l’avez-vous seulement remarqué ?
Car une journée d’école, pour moi, est au moins deux fois plus fatigante que pour un autre enfant vous savez ! Je dois me concentrer, surtout bien écouter, ne rien oublier, surveiller mon écriture, le soin, et toujours dans l’angoisse d’être rabroué, humilié, puni ou rejeté à nouveau…
Combien de fois avez-vous pensé que je le faisais exprès, simplement pour vous contrarier ? Pensez-vous que cela m’amuse d’être différent ? Mais quel enfant de 10 ans voudrait être DIFFERENT ?
Oui, on me trouve différent, bizarre, débile pour certains. Et que pensez-vous que je ressente ? Croyez-vous que cela m’arrange d’être TDA-H ? Croyez-vous que c’était plaisant de voir les copains dire à mon frère jumeau à chaque récréation que vous m’aviez encore engueulé, que j’avais encore obtenu un zéro, que j’allais doubler ? Fallait-il vraiment qu’ils sachent ?
Croyez-vous que c’était plaisant pour mon frère ? Combien de fois s’est-il révolté en secret ??
Mes parents ont tout mis en place pour que cela aille mieux, ont sacrifié tout leur temps de loisirs pour tenter de me faire dépasser mes difficultés. Cette année, face à tant d’obstacles, le neuropédiatre a voulu me donner un médicament très efficace selon lui, la Rilatine ! Il a dit que c’était surtout pour faire face à mon instituteur « dont la patience a des limites » et me permettre de sauver mon année… Je l’ai entendu dire qu’avec un instituteur plus compréhensif, il n’y aurait pas besoin… Alors mes parents n’ont pas accepté. Car vous comprenez Monsieur José, ce neuroleptique, il parait que c’est une drogue ! Oh, bien sûr, elle permet aux enfants comme moi de progresser rapidement, très rapidement même, car elles améliorent les connexions dans le cerveau mais certains disent que les effets secondaires sont terribles ! On dit même que certains enfants en seraient morts…Croyez-vous qu’un neuropédiatre donne un médicament de la sorte de gaieté de cœur à un enfant de 10 ans, Monsieur José ? S’il n’était pas malade, croyez-vous vraiment qu’on lui prescrirait ? Alors, croyez-vous vraiment que mes parents « me cherchent des excuses », comme vous dites ?
Oh, je comprends vos efforts quotidiens pour me supporter… malgré tout, je sais que vous avez dû en faire beaucoup, tout comme mes parents d’ailleurs, mais je vous demande aussi de comprendre ma tristesse et la détresse que j’ai éprouvée durant une longue année à me sentir tellement incompris ! Oui, je me suis senti incompris lorsque vous avez lancé mon classeur à travers la classe, lorsque vous avez vidé le contenu de mon banc en désordre dans un sac poubelle, lorsque vous avez cassé mon tout nouveau classeur en le tapant violemment sur mon banc, ou encore lorsque vous m’avez renvoyé en deuxième année primaire pour avoir oublié un devoir à l’école. Imaginez-vous seulement l’humiliation que j’ai ressentie dans mon petit cœur d’enfant ?
Vous savez Monsieur José, après cet épisode, je ne voulais plus revenir en classe. Oui, je vous l’avoue, je voulais tout abandonner ! Et c’est avec l’aide d’une psychologue et de mes parents que je suis parvenu à revenir m’asseoir à ma place, comme si de rien n’était. Car vous n’avez rien vu n’est-ce pas Monsieur José ? Et quand la psychologue m’a demandé comment je faisais pour survivre à tout cela, elle a été surprise que je réponde spontanément : « Je fais comme si Monsieur n’était pas là ! ». Alors oui, parfois, et même souvent, je n’ai rien compris aux leçons car je me réfugiais dans mon monde pour retrouver un peu de sécurité et pour tout oublier. C’est maman, le soir, qui faisait votre travail Monsieur José !
Je sais que vous faites un dur métier et que je n’étais pas le seul en classe à mettre votre patience à bout. Mais moi, avec mes difficultés de concentration, j’ai dû redoubler d’effort pour écouter, malgré tant de confusion en classe ! J’avais besoin de calme vous comprenez ? Et j’aurais tellement aimé recevoir plus d’encouragements face à mes difficultés. J’aurais tellement aimé que vous veniez jeter un œil sur ma copie en cours de contrôle pour voir si j’étais parvenu à tracer mes lignes pour bien disposer mes calculs, si j’avais bien compris la consigne plutôt que faire deux pages de conjugaison au futur plutôt qu’à l’imparfait… Ca vous aurait si peu coûté pourtant !
En contrepartie, vous parveniez à m’enlever les quelques points qui me restaient pour des « a » ou des « o » non conformes à VOS exigences, pour une date oubliée ou un numéro de page mal indiqué, aboutissant à de mauvais résultats en conjugaison alors que c’était en écriture ou dans le respect des consignes que se situait le problème…
Vous comprenez, monsieur José, par moment, je n’ai même plus essayé, car je savais qu’il m’était IMPOSSIBLE de satisfaire autant d’exigences à la fois ! Et les zéros en copie, et bien, je m’y suis tout simplement habitué ! Et puis, je ne comprenais plus où étaient mes difficultés dans autant de confusion ! Qu’est-ce que j’étais découragé !!!
Et je ne vous ai pas encore parlé des devoirs à la maison ! Après une journée si pénible en classe, souvent avec des récréations écourtées pour terminer d’interminables colonnes de calculs, tous ces cours de chorale ratés et même ces dîners non mangés par manque de temps, tout recommençait de plus belle à la maison !!!
Vous ai-je dit que j’ai dû abandonner la musique et le dessin cette année ? Je n’avais plus le temps d’y aller. Pas facile de caser mes activités favorites avec 6 devoirs ou leçons par jour, sans compter les listes interminables de révisions données pour les week-ends et les vacances… Mais j’ai été fort Monsieur José ! Jamais je n’ai relâché la pression de toute l’année !!! Au fond de mon cœur, j’espérais qu’un jour vous seriez fier de moi… J’avais tellement besoin de retrouver un peu de confiance en moi dans les activités que j’aime et pour lesquelles j’ai un peu de talent ! La psychologue a parlé de « surmenage », de « harcèlement moral ». Vous comprenez ces mots, vous, Monsieur José ? Est-ce que ça veut dire qu’on se sent très mal dans son cœur, qu’on se sent complètement dépassé ? Alors, oui, je crois qu’elle avait raison !
Il parait que la loi dit de donner maximum 30 minutes de devoirs à des enfants de mon âge. Mais moi, je travaillais chaque jour de 16H30 à 20H, parfois 22H aussi ! Et j’ai fait TOUS les devoirs que vous avez indiqués, TOUS ! Les uns après les autres ! Un jour, il y avait 10 matières à revoir alors maman a rigolé nerveusement en disant que vous aviez battu votre record. J’ai ri aussi, mais pour ne pas pleurer Monsieur José ! Et le lendemain, à l’école, vous n’étiez pourtant pas content car je n’avais pas corrigé quelques fautes dans les cahiers… Mais j’avais aussi besoin de dormir, vous comprenez ?
Bien sûr, vous vous dites que ce n’est pas votre faute, que c’est moi qui ai un problème. Oui, bien sûr j’ai un problème ! Mais les copains, même ceux qu’on appelle les « bons élèves » ont eu beaucoup de mal aussi avec tant de devoirs ! Combien de parents ont détesté cette année, on parlé « d’enfer » devant la grille de l’école et combien d’enfants de la classe attendaient avec impatience la quatrième année pour enfin avoir l’occasion de vivre et respirer ? Et pourquoi cette troisième année si difficile alors que la quatrième année est paisible ? Ne parle-t-on pas de continuité dans les écoles ? Et comment expliquez-vous que dans la classe d’à côté, les enfants sont heureux, pas surmenés, avec les mêmes matières et les mêmes contrôles ?
Je pensais qu’à l’école on prônait l’égalité des chances, la différenciation, l’intégration des handicaps parce que, vous savez, ma maladie, c’est un handicap que je vis au quotidien !
Voilà, Monsieur José, en cette fin d’année, j’avais besoin de vous dire ce que j’ai sur le cœur, un peu pour moi, mais surtout pour tous les autres enfants qui passeront un jour dans votre classe. S’il vous plait, ne leur faites plus jamais subir autant de violence ! Permettez-leur d’apprendre avec plaisir. Permettez à chacun d’être DIFFERENT !
Julien (29/06/2010) Lettre rédigée avec l’aide de sa maman.
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