Témoignage : vivre avec le TDA/H au quotidien

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Vivre avec le TDA/H au quotidien

Lundi, 6h30, le réveil sonne. Une autre semaine qui commence. Un jour de semaine comme un autre… Enfin, pas tout à fait.

Alors que ma moitié s’affaire en cuisine pour préparer les pique-nique de toute la famille, je termine de me préparer, et vérifie que tous les vêtements des enfants sont prêts pour le gros rush du matin.

7h… Les réveils ont sonné dans les chambres des enfants. Comme souvent, quand il faut se lever, personne n’est au rendez-vous. Quand je pense qu’ils ont fait la java dès 6h30 samedi matin.

7h15, Valentin déboule l’escalier (le mot est faible). Il est d’excellente humeur, chouette. Il me fait un câlin, avec intensité, la même intensité que celle avec laquelle il pose chacun de ses gestes, qu’ils soient guidés par la joie, la tristesse, la colère, l’affection, la frustration, l’impatience… Troubles de l’hyperactivité et de l’impulsivité disent les spécialistes…

Il est levé suffisamment tôt que pour avoir le temps de prendre son petit déjeuner à la maison, mais je sais déjà que le temps nécessaire à chaque étape de l’habillage peut perturber le programme. Comme toujours depuis la rentrée, pour parer aux programmes perturbés justement, les tartines du matin et les laits chocolatés sont prêts à être emportés et à être consommés dans la voiture, sur le long trajet qui nous sépare de l’école, cette école que nous avons choisie avec tant de soin, d’attentes et de convictions.

Je suis armée de patience, malgré la fatigue et les insomnies. Ouf, ce matin je suis un peu épargnée. Ils sont tous de bonne humeur, s’habillent et brossent leurs dents sans se faire trop prier. Un bon point.

Je ne crie pas trop vite victoire, il faut encore réussir à leur faire mettre leurs chaussures, étape clé avant le départ de la maison. Combien de fois vais-je devoir leur demander de mettre leurs chaussures ? Va-t-il falloir finir par les sortir moi-même de l’armoire où elles attendent comme chaque jour ? Combien de fois va-t-il falloir les faire assoir devant la paire, ou poser celle-ci juste devant leurs pieds sans perdre patience ? « Où sont vos appareils dentaires ? Les grands, avez-vous pensé à descendre avec l’appareil et la boîte » ?

7h50, on démarre enfin, avec près de 10 minutes de retard sur le programme, et en plus il y a des déviations. J’essaye de ne pas me mettre la pression, et de leur épargner un mauvais départ. Après tout, je n’avais qu’à m’organiser mieux, me lever 10 minutes plus tôt…

Heureusement, ça roule bien depuis quelques semaines. Nous arrivons à l’heure à l’école. La journée ne commence pas si mal finalement.

8h40, la cloche sonne. L’animatrice de Valentin semble absente. J’ai toute confiance en sa remplaçante, mais suspecte que la journée de mon petit homme sera plus difficile aujourd’hui.

Antoine réclame son câlin avant d’entrer en classe. Sans le câlin du matin à l’arrivée de son animatrice, c’est la grosse angoisse. J’ai appris à vivre avec la grande sensibilité de mon fils, et j’aimerais que contrairement à moi il arrive à la dépasser, donc je le rassure et suis à l’écoute de ses émotions. Il s’éloigne, satisfait de notre embrassade, le sourire aux lèvres. Chouette, aucune larme ne perle à la base de ses yeux. Décidément cette nouvelle école convient parfaitement à Antoine. Il est enfin épanoui. Nous n’avons pourtant pas fait dans le détail point de vue particularités pour nos enfants… Quand on gagne enfin une bataille, une autre commence.

8h50, la cloche des maternelles sonne. « Maman, tu viens un petit peu dans ma classe ». Je me joins à Yanis pour une petite histoire, un petit puzzle. Dix minutes pour mieux se séparer. Un bisou, un câlin. Aujourd’hui il me laisse partir sans insister pour prolonger l’instant « encore un petit peu ». La journée s’annonce gérable.

9h10, j’arrive au bureau. Pas trop mauvais record ce matin. Je sais qu’une grande quantité de travail m’attend, mais je prends quand même le café avec les collègues avant d’entamer la course contre la montre. J’ai besoin de respirer pour mieux repartir entre mes deux « métiers ». J’ai la chance d’avoir des chouettes collègues de travail, humains et compétents, et d’être employée par des personnes flexibles et qui me portent la confiance que je pense mériter. Je ne sais pas comment je gèrerais ma vie tellement remplie sans ça.

La journée se déroule comme elle se doit, j’essaye de rester détendue, je gère mon temps. Les dossiers c’est bien plus facile à gérer que les humains finalement. Pourtant je jongle avec des piles de paperasse, des délais auxquels je ne peux déroger, mais aujourd’hui ça va, le stress reste en sourdine. Et puis, j’aime mon métier.

16h, je surveille l’horloge de mon ordinateur, il va bientôt falloir se déconnecter, pour entamer la deuxième partie de ma journée.

Je me prépare à aller chercher mes petits monstres à l’école. J’ai pris une bonne résolution après avoir craqué il y a quelques semaines. Je vais essayer de ne pas trop m’inquiéter de comment s’est passé la journée de Valentin. Après tout, si un événement particulièrement marquant avait lieu, il me le dirait, ou je le verrais à sa mine triste ou fâchée. Et puis les animatrices me relayeraient les faits importants. Pour les détails, il vaut mieux ne pas trop en demander, car je n’arrive pas encore à prendre de la distance par rapport aux difficultés de mon fiston, même maintenant que je connais la cause de celles-ci. Ma nature empathique et très sensible prend le dessus, et je ressens chaque difficulté de mes garçons comme un échec dans mes efforts éducatifs. Je sais, c’est une erreur, mais c’est ainsi.

16h20, faut que je file, je vais être en retard. 16h30, j’arrive à l’école. Je récupère mes trois enfants sans trop de difficultés. D’habitude il y en a au moins un qui fait de la résistance, ou l’autre qui est introuvable. Je suis preneuse !

Nous sommes à l’avance pour le rendez-vous de 17h15 chez la neuropsychologue, mais j’ai oublié de prévoir un goûter. Je rassemble mes forces, et annonce aux enfants que je vais aller leur chercher quelque chose au magasin juste à côté de l’école. Bien sûr, ils veulent m’accompagner. Je mets les choses au point : on reste calme dans le magasin, on ne crie pas et on reste à mes côtés. Je me lance dans un périple que je fais en général tout pour éviter. Heureusement, deux boissons et trois en-cas plus tard, nous sommes déjà à la caisse, et la file est supportable. Heureusement car Yanis commence déjà à se faire remarquer.

17h, nous voilà prêts à nous rendre chez la neuropsychologue, pour la troisième des vingt séances hebdomadaires. Les enfants se désaltèrent et se sustentent, je distribue des lingettes pour essuyer les bouches et mains afin de les rendre un minimum présentables. « Valentin, retire ton gilet mon chéri, il est noir de crasse ». Voilà, on entre dans la salle d’attente, avec 5 minutes d’avance.

Yanis et Valentin se disputent le jus de fruit. La psychologue du bureau d’à côté manifeste son mécontentement en venant fermer la porte de la salle d’attente. Désolée, j’habite à 45 km, je n’ai pas d’autre choix que de venir conduire Valentin accompagnée de ses deux frères.

17h15, la neuropsychologue est toujours bien à l’heure, ça me fait plaisir. Valentin entre dans son bureau, et pendant quelques minutes nous faisons le point et échangeons des documents. Juste quelques minutes pour que la voisine vienne à nouveau se manifester. Ca confirme mon sentiment : mes enfants sont trop bruyants… Ha ces éléments perturbateurs ! Mieux vaut le prendre sur le ton de l’humour, ça détend.

Il fait trop mauvais pour que j’emmène Antoine et Yanis faire une ballade cette fois, et puis je suis fatiguée. Nous passerons les 45 minutes de la séance dans la salle d’attente, il y a tout ce qu’il faut pour les occuper, et j’ai des documents à lire, des documents pour m’informer sur les troubles de mon Valentin. Finalement, je n’y lis que des choses que j’avais déjà découvertes dans d’autres fascicules. Dommage, j’aurais aimé trouver encore plus de réponses, encore plus de tuyaux pour étayer mon imagination pourtant débordante.

18h, fin de la séance. Nous échangeons quelques mots avec la psychologue dans la salle d’attente. Il a très bien fait ça, mais il était temps que ça se termine. Normal, après une journée comme ça, il faut que toute cette énergie sorte me confirme-t-elle. A peine sorti du bureau, Valentin se montre en effet bien excité, monte sur le dos de son grand frère. Je règle la séance, et sur ces quelques minutes Valentin et Yanis ont fait la java sur la table de massage, et y ont laissé s’échapper tout le sable de leurs chaussures, poches, et rebords de pantalons. Je présente mes excuses, tente un rapide nettoyage, lance un rapide « à la semaine prochaine », et je file. Le temps de fermer la porte, Yanis a déjà appuyé deux fois sur le bouton de la sonnette à l’entrée. La « voisine » va encore apprécier.

C’est parti pour 45 minutes de route. Ouf, ils sont fatigués, pas trop de papotes bruyantes et de disputes dans la voiture. Direction l’Académie de musique pour le cours de clarinette d’Antoine.

19h, Frédéric m’attend devant l’Académie. Je lui laisse les deux petits, je monte au cours avec Antoine. J’aime autant ça, finalement ça me laisse un moment de calme au son bienveillant de la musique, même si une fausse note vient perturber l’harmonie de temps en temps.

19h50, je rentre à la maison, éreintée. Je m’installe pour manger. J’ai beaucoup de chance, j’ai un mari qui cuisine, bien qu’aujourd’hui ce sera du riz avec un plat préparé. Qu’importe, c’est bon quand même. J’ai de la chance, mais je l’envie parfois. J’aimerais être avant tout le monde à la maison, profiter d’un instant de calme même si ce n’est pas pour se prélasser, et laisser le soin à quelqu’un d’autre de gérer les enfants, leur scolarité, traitements, et diverses activités. Mais c’est un choix qu’on a fait ensemble, il ne m’y a pas forcée, et j’en suis même en grande partie à l’origine, alors je ne peux pas lui en vouloir. Mais quand même, il arrive que la fatigue entraîne des sentiments peu honorables. Alors parfois, oui, je lui en veux.

20h30, Valentin a dû monter dans sa chambre il y a 15 minutes parce qu’après au moins 5 remarques pour qu’il ne mange pas avec ses doigts, il récidivait, comme à chaque repas. Je monte le voir, il joue tranquillement. Je lui demande de descendre brosser ses dents. Il dit avoir faim. Je le laisse finir son assiette en le surveillant du coin de l’œil.

21h, si j’avais su je me serais abstenue, il se serait couché en zappant les normes d’hygiène ce soir.

Le lundi l’heure du coucher est décalée, on ne peut pas faire autrement. De toute façon, même quand les enfants montent à 19h30, il n’est pas rare d’entendre une petite souris redescendre une, voire deux heures plus tard.

L’excitation est à son comble, mais je parviens quand même à envoyer tout le monde au lit. C’est papa qui raconte les histoires ce soir. Pour la première fois depuis bien longtemps, je passe mon tour. En général on se partage la tâche, mais je dois encore travailler, 2 heures en principe, car tenter d’assumer parfaitement mon rôle de maman ne m’autorise pas à ne pas assumer mon rôle d’ « employée modèle ».

Pourtant je n’ai pas de courage ce soir. Qu’importe, pour la première fois depuis 8 mois, je reporterai à demain le labeur qui m’attend.

Je regarde en arrière et je vois tout le chemin parcouru. Tant de moments difficiles. Maintenant qu’on a une explication, je devrais me féliciter d’avoir d’instinct commencé à mettre en place les bonnes réactions, à utiliser les mots justes, à me détacher du regard accusateur des personnes dans les lieux publiques, celles qui jugent sans savoir, tout ça avant même de lire et entendre tous ces conseils qui abondent dans le sens de la pédagogie que je m’étais promis d’appliquer, ou du moins d’essayer.

Je devrais me féliciter pour ce choix d’école qui permettra sans doute à Valentin de garder une meilleure image de lui, ou du moins de retrouver cette image positive qui tend à lui faire défaut, comme pour à peu près tous les enfants qui présentent les mêmes troubles que lui.

Pourtant je me sens encore douloureusement blessée. Ce handicap qui ne se voit pas ou du moins ne se comprend pas, car il n’a de traces perceptibles que dans le comportement, ces réflexions douloureuses et stigmatisantes auxquelles Valentin et nous devrons encore souvent faire face, cet épuisement qui fait partie intégrante de notre vie à force de faire face à autant de vivacité, d’impulsivité, à force de devoir sans cesse redoubler d’imagination, maintenir des limites fermes mais avec suffisamment de douceur, et nous maîtriser quand nos limites sont atteintes voire largement dépassées, ce sentiment d’avoir dû affronter cela sans répit, avec si peu de soutien jusqu’à ce jour… Ce handicap, comme tous les handicaps, est tellement injuste pour le cœur d’une maman.

Malgré tout l’amour que je porte à chacun de mes enfants, malgré mon instinct de les protéger de tous les maux, il m’est arrivé d’avoir des pensées très culpabilisantes. Il m’est arrivé d’en vouloir à mon fils d’être tel qu’il est, alors que je le chéris plus que tout et que je prône la richesse de la différence de chacun d’entre nous. Il m’est arrivé de me dire que ma vie aurait été tellement plus simple, et plus agréable parfois, si nous avions choisi de n’avoir qu’un enfant, alors là même que je ne concevrais même pas la vie sans chacun de mes fils à mes côtés.

Bien sûr, ces pensées ne font que traverser mon esprit, et au fond de moi, les qualités de chacun de mes enfants et les richesses que m’apportent leur sourire et leur affection si profonde et si sincère valent plus que tous les trésors du monde, et valent bien plus qu’une vie tranquille et sans anicroches.

Mais voilà, je suis une maman certes, mais une maman fatiguée. Alors ces quelques pages m’ont permis de m’alléger d’un peu de cette tristesse que j’ai dans le cœur, pour mieux repartir demain.

22h30. En principe, à cette heure-ci, je devrais refermer ma connexion à distance… En principe… Ce lundi n’est pas un lundi comme les autres, mais comme chaque jour, avant de me coucher, je vais aller embrasser Yanis, Antoine et Valentin, et leur glisser un dernier « Je t’aime, fais de beaux rêves » dans le creux de l’oreille. Il paraît qu’il faut répéter les choses trois fois tout bas quand ils dorment… J’espère qu’ils m’entendent !

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