
Au commencement : l’école
« Pauline devrait travailler plus rapidement et plus proprement; Pauline devrait être plus attentive et moins bavarder; Pauline retourne les chiffres 5 et 6; les résultats de Pauline sont irréguliers; Pauline est très intelligente mais ne le montre pas toujours; Pauline ne fait aucun effort pour mieux écrire; Pauline doit apprendre à obéir; Pauline fait parfois des efforts mais ça ne dure pas; des résultats étonnants : des hauts et des bas; faible en orthographe (inattention); Pauline doit réagir; travail non remis; attention au bavardage; Pauline fait beaucoup de fautes; aucune méthode ni précision, manque de réflexion et de concentration; situation d’échec; Pauline est encore distraite; Pauline perd encore trop de temps en bavardages et en distractions; Pauline doit être plus concentrée; attention à la distraction; Pauline doit être moins dispersée; Pauline arrive difficilement à se concentrer pendant un certain temps; Pauline doit surveiller son attitude, moins chercher à bavarder et approfondir toutes les branches; manque de travail… »
Fin Août 1978. J’ai mal au ventre. La rentrée scolaire approche. Des problèmes en perspective. L’année passée, on m’a envoyée au PMS. Je ne joue pas avec les autres, ce n’est pas normal. Mes souvenirs sont flous. On m’a fait sauter sur un pied et puis commenter des images.
Je m’ennuie en classe. Je m’en rends bien compte, j’écris mal. Mes résultats sont mauvais. Je n’arrive pas à placer les accents dans le bon sens ce qui aggrave encore ma moyenne en orthographe. Pourquoi faire des efforts? Pour des résultats moins médiocres? Pas très motivant.
Je ne suis pas vraiment à l’aise en groupe. Les autres petites filles ont de belles écritures rondes, d’excellents résultats et plus d’amis que moi. Elles ont une aura rose et moi grise…
Je commence une Licence en Communication. Après 3 redoublements dans le secondaire, ce choix surprend. Les redoublements se succèdent, c’est devenu une habitude. Dans l’auditoire, je dors les yeux ouverts. Je ne prends pas note. Ecrire et écouter en même temps : trop compliqué pour moi. D’ailleurs, je n’arrive pas à relire les rares infos que j’ai finalement captées.
Et puis, en Licence, tout paraît plus simple. Pourtant, j’ai choisi la section réputée la plus dure. Je fais partie de l’élite : section Presse et Information. Tout devient intéressant. J’apprends beaucoup. Le pouvoir des mots me fascine. La quête de l’information devient pour moi la quête du graal. Mon esprit rationnel analyse, dissèque, compare, cherche, recoupe… Je suis par moment en effervescence.
Je crée. La photographie m’ouvre les portes de la Monnaie et je découvre l’opéra. Seule dans l’ombre, j’assiste aux répétitions d’ « Il Turco in Italia » de Rossini. J’aime l’ombre et la solitude de ces prises de vue. Cet univers inconnu pour moi est féerique, je suis dans la caverne d’Ali Baba.
Je réussi mon mémoire photo malgré ma désorganisation chronique et mon manque de rigueur technique. Mieux réussi d’ailleurs que certains qui avaient tenté l’Afghanistan et qui maîtrisaient mieux la photo que moi… Je jubile secrètement.
Les amis
Toujours ce mal être en groupe. Pas de nouveaux amis, quelques pathétiques bouches trous pour ne pas manger seule à la cantine… Je vis seule maintenant, c’est vraiment très dur. Le soir, l’immeuble est vide car je vis au dessus d’un coiffeur. Affreux.
Il me reste une amie de longue date qui m’héberge un temps. Je passe certaines de mes soirées avec des jeunes en plein trip d’LSD, speed, champi ou autre… Glauque. Je ne me sens pas vraiment à ma place. Quelques chouettes soirées grâce à l’ecstasy, mais en fin de compte, je me dis que si, ma couleur est le gris, ce n’est pas une pilule qui y changera quelque chose. La réalité bien que difficile me paraît plus intéressante que des sensations artificielles. Cela peut paraître bizarre mais en quelque sorte, j’ai du respect pour mon gris.
Le sport
Des résultats assez médiocres. Sport d’équipe : problèmes d’interactions dans le groupe, trop individualiste. Sport de raquettes : je chasse les mouches. Danse : je ne retiens pas la chorégraphie, tourne à droite quand il faudrait tourner à gauche… La course : mes mouvements sont tellement curieux que je suscite l’hilarité générale.
Je me rabats sur le yoga. Mais est-ce qu’on peut vraiment classer cette discipline dans les sports ?
Les hommes
Le temps passe mais les problèmes restent les mêmes. Je ne suis toujours pas populaire et vogue dangereusement entre « se suffire à soi-même » et être « seul au monde ». Le couple devient mon refuge. J’y cherche tout : la reconnaissance, l’amitié, l’amour, les sensations. Mais quand ça casse, il ne reste plus rien; la princesse s’est à nouveau transformée en souillon. Un vide total et un grand sentiment d’insécurité m’assaillent.
Toutes sortes d’hommes traversent ma vie. Un dénominateur commun: pas vraiment intéressé par une relation avec moi. Normal, j’harponne le premier venu qui se présente à moi. Pas vraiment des salauds, souvent gentils, mais résolument pas intéressés par une relation durable.
J’arrive souvent à mes fins avec les hommes. Ils me trouvent jolie, gentille, pas bête mais ils notent mon nom au crayon dans leur agenda. Ma préférence va aux hommes très intelligents. Ils n’ont pas vraiment déteint sur moi et n’ont fait que de me renvoyer une image encore plus abîmée de moi-même. La beauté des maths? La physique cantique? Non, franchement, ça ne me dit rien.
Au fond, ce qui je m’attirais auparavant, c’était les sensations liées à la nouveauté. Avec un peu plus de maturité et d’estime de moi-même, j’aurais évité pas mal de psychodrames et mieux profité de ma jeunesse.
Le crayon, ce n’était pas mal comme idée finalement !
Caméléon
Il m’arrive souvent de faire illusion, je m’adapte facilement et je donne le change. Malheureusement, je développe parallèlement un sentiment d’imposture. J’ai l’air intelligente parfois, même souvent. Ca ne m’aide pas du tout, bien au contraire, je vis avec la peur d’être démasquée tôt ou tard. Ce qui arrive effectivement trop souvent.
Un test en dessous de mon niveau académique, un commentaire d’une responsable au travail sur mes capacités me rappellent qu’à tout moment le masque peut tomber.
L’orthographe
Faire des fautes d’orthographe, c’est un peu comme aller à un rendez-vous mal sapé. Vous êtes charmant, intelligent, bien de votre personne ? Peu importe. Ce qu’on retiendra de vous, c’est cette horrible cravate, ces lunettes ringardes, ce tailleur défraîchi, cette veste kitch. En plus d’avoir l’air d’un plouc, votre interlocuteur prendra ça comme un manque de respect à son égard.
Compte tenu de cette prise de conscience, je décide de ne presque plus faire de fautes. En fait, la langue française étant ce qu’elle est, je crois qu’à moins d’être prétentieux, on ne peut pas affirmer écrire sans faute. J’utilise donc le correcteur orthographique, me relis sans cesse et essaie d’assimiler quelques règles essentielles à ma survie dans le monde de l’écrit.
Relire est devenu à ce point systématique que je me surprends à relire les textes des autres (mails, …). C’est maintenant presque devenu un toc ! Mais ce toc me permet de vous le dire en connaissance de cause : tout le monde fait des fautes d’orthographe à un moment donné.
Rien que pour ce paragraphe sur l’orthographe, je viens, en me relisant et en faisant fonctionner mon correcteur d’orthographe, d’enlever sept fautes.
Chez le psy
Il me comprend. Il m’a comparé à Bridget Jones. Je suis moi-même. Même moche et conne, il serait obligé de me voir : je paie pour ça! Malgré tout, je crois que j’essaie de lui plaire. C’est le transfert, rien de grave. Je ne suis pas vraiment attachée à lui mais son attitude bienveillante à mon égard me fait du bien. Les hommes sont souvent bienveillants avec moi.
La vie se rejoue en séance. Bridget, les hommes la trouvent mignonne et sympa.
Panique
Ca arrive insidieusement. Presque toujours le soir. Une terreur incroyable m’assaille. Une peur qui vient du fond de l’âme. Elle semble sans objet, son origine inaccessible. J’ai l’impression de manquer d’air mon corps tendu est parcouru de spasmes. Corps et esprit sont unis dans cette souffrance aiguë.
Cet état qui me paraît proche de la folie, me fait honte. Je me déplace dans le lit pour que mon compagnon ne soit pas alerté par mes tremblements. Dans ces moments, le regard des autres si bienveillant soit-il, accentue encore mon sentiment de perte de contrôle. Après quelques minutes mon corps se détend et je m’endors épuisée. Je me réveille pleine de courbatures.
Mais quand la panique de la panique ne s’installe pas, je prends cela avec humour : un peu toc-toc cette Pauline !
Plus sérieusement, avec le recul, je commence à comprendre. Quelque chose s’exprime : la peur de l’inconnu, la peur de ne pas être à la hauteur, la peur d’être abandonnée… Mon inconscient a des choses à dire. Tous ces échecs m’ont fragilisée. Je n’aime pas y penser, je ne pleure jamais mais j’aimerais parfois être comme ces personnes qui pleurent dès qu’elles sont contrariées. Elles m’énervent, c’est vrai, mais elles n’auront pas de crises de panique, ni d’ulcère, elles ! Il n’y a que les fictions ou éventuellement les enterrements qui me font pleurer.
L’argent
Il me brûle les doigts. Papiers chiffonnés, glissés dans le fond de ma poche, je le transforme en un temps record en d’autres objets aux formes plus avenantes : sacs, chaussures, déco … Tel sac aperçu dans une vitrine ne m’attendra pas bien longtemps. L’attente, ce n’est pas mon fort. Epargner, une résolution jusque là impossible à tenir. Les factures, je ne m’en occupe plus, je délègue. Auparavant, elles avaient tendance à s’amasser et les plans de paiement ne tardaient pas à venir…
Peut-être que je devrais fonctionner avec de l’argent de poche, j’y pense de plus en plus. C’est un peu infantilisant mais certainement moins dangereux !
Le travail
27 ans. J’ai décroché mon premier emploi : vendeuse dans un vidéo club. Voilà qui étonne avec une Licence en Communication. Pas vraiment envie de postuler pour un job en rapport avec mon niveau d’études. J’ai peur de l’échec, peur d’être confrontée à un parcours pas très brillant, peur de nouveaux apprentissages laborieux.
Mauvais calcul : vendeuse même pas cap ! J’enchaîne les catastrophes en tout genre. Je n’arrive pas à tenir la caisse. M’emmêle les pinceaux dans les réservations. Et tout ceci en plus de ma lenteur habituelle. La dernière erreur sera fatale. J’oublie de venir travailler confondant un jour de travail avec un jour de congé. Licenciement.
Je trouve tout de suite un autre job. L’immobilier m’ouvre ses portes. Rencontré au hasard, un marchand de biens m’engage pour gérer les agendas des vendeurs et faire les annonces. Ma ressemblance avec un amour de jeunesse a joué en ma faveur. Les compétences ? Peu importe, je suis une « petite main ».
L’ambiance est décontractée et familiale. Le travail pas compliqué. Peu de responsabilités. Je ressemble toujours à l’amour de jeunesse. Tout va bien.
Après quelques mois, je me rends compte que la majorité des employés de cette boite sont d’anciens toxicos avec un passé plutôt lourd. Le patron y compris alterne les périodes de sobriété et les rechutes. On se croirait dans un mauvais film, mais, bizarrement, j’ai de l’empathie pour toutes ces souffrances. Et puis, ces personnages sont plutôt haut en couleur et on ne s’ennuie pas. Sincères aussi. C’est le programme en 12 étapes des NA (Narcotiques Anonymes) qui le demande. Je me sens un peu mieux. Je ne dénote pas dans l’équipe. Chacun a son parcours un peu accidenté. Mais l’expérience se termine. Je coûte cher et une stagiaire me remplace.
J’atterris maintenant au Ministère de l’Intérieur. Je suis niveau 1. Le recrutement s’est fait sans difficultés car je n’ai dû passer aucun test. Un entretien sur la fonction et mes motivations. Aucun problème, je m’exprime bien et argumente efficacement. La fonction est rébarbative. Audition de candidats réfugiés, histoire invariable de candidat en candidat. Histoire inventée de toutes pièces la plupart du temps. Mon job consiste à traquer les incohérences dans le récit et entre les différentes auditions. Difficile pour moi de trouver quelque chose que je n’ai pas envie de trouver… Ennui mortel et démotivation totale. Les dossiers s’accumulent dans un coin du bureau. Je dois presque systématiquement réécrire les motivations de mes « refus de la qualité de réfugié » jugés trop faibles par ma responsable.
Je suis un flic rebelle. C’est un boulot nécessaire mais un sale boulot que je n’ai pas envie de faire. La souffrance qu’elle soit économique ou pas reste une souffrance. Les bourdes recommencent à nouveau. J’oublie un candidat dans la salle d’attente. J’intervertis des dossiers. Je suis constamment en retard. J’envoie un mail salé sur ma responsable…à ma responsable. Oups ! De remarque en remarque, la sentence tombe : pas capable de faire ce travail ; le contrat ne sera pas renouvelé. Nouvelle déprime.
Finalement, le dernier sera le bon. Malgré des débuts un peu foireux, période d’apprentissage oblige, je trouve mes marques. Je pense avoir l’estime de la majorité de mes collègues et ceux qui se moquaient de moi au début sont partis. Dans ma fonction actuelle, je reçois un public assez varié que j’essaie d’aider de mon mieux. Je suis sociable et empathique. J’ai acquis avec le temps une certaine expertise et j’ai repris confiance en moi. Bien que mon travail consiste plutôt en des entretiens individuels, j’anime aussi des groupes et fais des séances d’information. Ma peur viscérale de m’exprimer en public a disparu complètement. J’ai gagné en assertivité et acquis un répondant bien utile pour gérer les publics « difficiles ». Je reste néanmoins une individualiste pure et dure et préfère de loin les entretiens individuels ou les travaux solitaires. Si j’arrive maintenant à fonctionner en groupe, je n’aime toujours pas !
Cela fait 5 ans maintenant que j’exerce cette fonction qui est normalement d’un niveau académique en dessous du mien. Cela ne me gênait pas vraiment au départ mais je dois reconnaître que je commence à m’ennuyer et la perte salariale n’est pas négligeable. Je pensais avoir fait le deuil d’un travail dans la communication mais je me rends compte que ce n’est pas le cas. Cette idée vient me chatouiller de temps en temps mais la peur d’un nouvel échec et d’un retour à la case départ m’empêche d’agir. Pourtant, il y a peu, on m’a proposé une fonction dans la communication mais je me suis dégonflée… De nouveaux apprentissages avec en plus une responsable despotique, je n’ai pas pris le risque. Une nouvelle responsable est arrivée, l’ancienne étant virée, je me remets à rêver d’intégrer ce service.
Cap ou cap, l’avenir nous le dira.
Dodo l’enfant do, l’enfant dormira bientôt ?
Ca fait maintenant deux heures que je suis dans mon lit. J’étais pourtant crevée avant d’aller me coucher ! Je me sens trop éveillée pour dormir, mais pas assez pour me lever et commencer une activité quelle qu’elle soit, même la lecture qui est pourtant mon passe temps favori.
Je passe d’un idée à l’autre à une vitesse phénoménale : je planifie ma journée de demain, discours avec moi-même, m’évade en d’autres lieux plus vrais que nature. Parfois, je m’imagine en héroïne de roman fleuve mais d’autres fois, ce sont plutôt les idées noires qui me rattrapent. Un de mes proches tombe malade, meure, j’ai le cancer… Grâce à mon imagination, je passe en revue toutes les étapes qui vont du diagnostic à la mort en passant par la chimio et la rédaction du testament. Que ce soit le roman-fleuve ou les possibles accident de la vie, le résultat est le même : je ne dors pas. Comment le pourrais-je alors qu’on vient de m’annoncer qu’il ne me reste que quelques mois à vivre ou que Woody Allen m’a choisie pour son prochain film dans lequel je donne la réplique à Leonardo di Caprio. Dans le premier cas, je dois « mettre de l’ordre dans mes affaires » dans le second, je dois « apprendre mon texte » !
1 heure du matin, je ne dors toujours pas. Ma journée de demain va être un calvaire : mal de tête, irritabilité, difficultés de concentration… Difficultés de concentration ! C’est déjà compliqué en temps normal, je vais encore me faire remarquer au bureau avec mes gaffes.
Je n’y tiens plus. Un certain Zolpidem va m’aider. C’est mon pote. L’avaler, c’est comme appuyer sur le bouton off de mon cerveau. Je sais, c’est mal. Pas bien. Dangereux même : Marilyn et Michaël peuvent en témoigner.
Je ne crois pas avoir le profil d’une junkie. Je ne cherche pas les sensations artificielles. Je ne bois pas, je ne fume pas… J’ai juste envie de dormir comme tout le monde. Difficile à comprendre pour quelqu’un qui ne vit pas ce problème.
2 heures du matin, je dors enfin. Mon mari ne dort plus. Je lui ai donné un coup de coude dans le nez. Je me retourne toutes les deux secondes ce qui l’empêche de se rendormir. Un ex petit ami m’avait surnommé la machine à laver : un tour dans un sens, un tour dans l’autre sens et ce pendant tout le cycle… du sommeil.
La voiture
J’ai passé mon permis de conduire à 18 ans en province.
Je ne conduis plus. Il faut être réaliste, ma distraction, mon manque de réflexes et mes problèmes de coordination, font de moi un danger public. Je n’ai pas vraiment peur pour moi ni pour la voiture, mais pour les autres. Il n’y a que dans les jeux vidéo de très mauvais goût, qu’écraser des piétons rapporte des points ! Je ne désespère pourtant pas. Je crois en l’avenir grâce à la technologie.
J’écris maintenant pratiquement sans faute grâce au correcteur orthographique, je ne doute pas qu’un jour je roulerai sans écraser personne grâce à la conduite assistée. Les voitures se garent déjà seule, on est sur la bonne voie !
Une rencontre
Après tous ces déboires, une rencontre. Un homme s’intéresse à moi. Je ne suis pas vraiment intéressée. Mais la solitude me pèse. J’ai beau faire une liste de tous mes défauts, il les prend pour des qualités. Par moment, tout cet amour m’étouffe. Je n’ai pas l’habitude qu’un homme attende quelque chose de moi. Je culpabilise un peu et me rend compte qu’il est plus facile d’aimer quelqu’un qui ne vous aime pas. Finalement, je dois bien le concéder, on est relativement bien assorti ! Les choses et les sentiments s’équilibrent avec le temps. Vases communicants ?
Nous décidons d’avoir un enfant, j’ai quand même 30 ans ! Nous ne nous connaissons que depuis 3 mois mais je me sens suffisamment en sécurité pour me lancer dans cette aventure.
Ce que je croyais impossible est arrivé : j’ai trouvé l’amour.
La mère
Une grossesse horrible mais une résurrection à la naissance de ma fille.
J’assure un max. Je suis au top. Les relations mère-enfant me passionnent. Je me lance dans un maternage intensif et me documente un maximum. J’arrête de me regarder le nombril et c’est une libération.
Pour la première fois de ma vie, je ne doute de rien. De toute façon, je n’ai pas le choix, personne ne peut me remplacer. J’acquiers plus de structure. J’organise. Je planifie. Mes proches sont sidérés.
Adepte de l’allaitement long et du portage, je passe pour une extrémiste. J’adore ça! Personne ne me sort le couplet sur la mère fusionnelle car, après m’avoir traitée de froide individualiste pendant des années, ça ne tiendrait pas la route.Ce maternage est aussi une réparation. Je suis la mère que j’aurais voulu avoir. Je prends de l’assurance.
« Tu peux mettre le chat dans le frigo et donner à manger au rôti ? »
Mon mari et ma fille pouffent de rire. Pas sûr que le chat se plaise dans le frigo ni, que la dinde, réduite à l’état de rôti, soit en mesure de manger quoi que ce soit.
C’est comme ça presque tous les soirs. Les mots se mélangent dans ma tête. Dans certains cas de fatigue extrême, je n’arrive même pas à finir mes phrases qui se terminent dans un une langue venue d’ailleurs.
Les enfants d’abord
Ma fille me fait répéter sans cesse les consignes : va te brosser les dents, mets tes pantoufles, range ton pyjama… Elle n’obéit pas beaucoup.
Les enseignants se plaignent de difficultés attentionnelles, de faibles interactions en groupe et de problèmes liés à la psychomotricité. D’un point de vue émotionnel, tout semble amplifié. Par moment, j’ai l’impression de vivre avec le Marsupilami. De plus, elle souffre d’énurésie nocturne.
Je suis inquiète et épuisée. Les remarques de l’entourage m’exaspèrent. Pour faire bref, on est soit, « trop ceci » ou « pas assez cela », c’est de notre faute, « yaka ceci, yaka cela », et en prime, « on vous l’avait bien dit ! »
Un article lu dans la presse m’intrigue. Trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité ? Une maman d’un enfant diagnostiqué TDA/H me fait un topo. J’en parle à la pédiatre et, suite à ses conseils, nous prenons rendez-vous chez un neuropédiatre. Après quelques mois de rendez-vous en tout genre et un portefeuille franchement amaigri, le diagnostic est posé: Trouble déficitaire de l’attention avec impulsivité.
Suite à la mise en place d’un traitement multimodal, des améliorations sont vite constatées tant par nous-mêmes, les parents, que le corps enseignant et les proches. Ma fille est mieux dans sa peau, s’ouvre plus aux autres et a de meilleurs résultats scolaires. Nos relations sont aussi moins tendues. Elle va mieux et le diagnostic m’aide à relativiser certains comportements.
Le TDA/H est toujours là mais ses conséquences deviennent gérables.
TDA/H ? Kesako ?
Ca fait maintenant plusieurs mois que je me documente sur le TDA/H. Au départ, j’étais noyée sous un flot d’informations plus incompréhensibles les unes que les autres. Des termes scientifiques squattaient mon cerveau en plein bug : dopamine, inhibition, fonctions exécutives, mémoire de travail, synapse, attention divisée, cellule gliale…
Cellule gliale ! Le mot est lâché en pleine conférence sur le TDA/H. Je suis mise KO par cette foutue cellule gliale. Mon visage affiche maintenant un regard bovin des plus inspirés !
Trouver de l’information sérieuse sur le TDA/H est une gageure. Le web véhicule énormément d’informations, mais il faut être capable de faire le tri. Pas simple. Ma formation journalistique m’a appris à vérifier les sources, à les recouper mais cela reste quand même assez compliqué. Je n’ai aucune formation scientifique et manque de références en la matière.
Malgré tout, à force de lire, je parviens, autant que faire se peut pour une néophyte, à faire le tri parmi les infos scientifiques et celles émanant de sectes ou d’illuminés. Je fais des liens, j’apprends de nouveaux mots… Je suis Champollion et le TDA/H, ma pierre de Rosette !
Mes connaissances reste assez superficielles mais elles me permettent de comprendre de quoi on parle et de mettre en perspective certaines choses.
Il me semble qu’il faut absolument laisser aux personnes compétentes –les scientifiques spécialisés dans la matière- le soin d’aborder les questions les plus pointues et les plus scientifiques de ce syndrome. Ca nous permettra d’une part, d’éviter de passer pour des abrutis, et d’autre part, d’éviter de faire circuler des informations non pertinentes qui risque de s’avérer nuisibles.
Le spécialiste du TDA/H
C’est le docteur House du TDA/H. Assertif, sûr de lui, il ne doute de rien : le TDA/H en Belgique, c’est lui ! Pourtant, derrière cet air un peu distant de spécialiste, on sent poindre l’empathie et l’humour.
J’imagine qu’il n’est pas simple de devoir gérer les patients dans le climat actuel de désinformation qui règne autour du TDA/H. Tout le monde semble avoir un avis sur la question et malheureusement celui-ci se base souvent sur des articles non scientifiques d’une presse racoleuse et sensationnaliste.
Le TDA/H est difficile à diagnostiquer chez les adultes. Certains d’entres nous ont appris à contourner les difficultés en compensant. Dès lors, certaines difficultés semblent avoir disparu mais c’est cependant souvent au prix d’efforts considérables. En outre, le TDA/H motrice est aussi moins perceptible : un adulte qui saute, grimpe et cours en tout sens, c’est heureusement plutôt rare ! Enfin, les spécialistes formés à diagnostiquer le TDA/H chez les adultes ne sont pas nombreux et leur expertise n’est pas très ancienne puisque ce n’est que récemment que les patients font cette demande. La plupart du temps, suite au diagnostique de leur enfant.
Donc mon choix fut vite fait entre, un neuropédiatre avec une grande expertise et, un neurologue débutant dans le TDA/H, mon cœur ne balance pas !
Je lui ai demandé s’il voulait s’occuper de mon cas. Il a refusé et m’a renvoyé vers l’ASBL TDA/H Belgique pour avoir les coordonnées de neurologues compétents.
J’ai maintenant la liste des spécialistes disponibles. Je n’ai pas confiance. Je ne prends pas rendez-vous. Je donne la liste à mon père qui est tout aussi distrait que moi si pas pire. Après un seul rendez-vous et aucun test de l’attention, le TDA/H est écarté. Ca ne m’arrange pas du tout car l’hérédité est très présente dans le TDA/H. Un père TDA/H aurait pu conforter mon propre diagnostic. Enfin, c’est vrai qu’il n’y pas que le trouble déficitaire de l’attention qui explique la distraction… Ceci dit, tout ceci a été tellement expéditif que pour moi le doute subsistera toujours.
Je ne me laisse pas décourager. Mon père m’a apporté mes bulletin d’école primaire et je fluote les remarques des enseignants pouvant mettre en évidence un TDA/H. Je fais aussi une liste des difficultés que j’ai rencontrées dans mon enfance et ma vie d’adulte.
Ma farde sous le bras, je me rends au rendez-vous que le neuropédiatre avait fixé pour ma fille.
J’ai pris une initiative qui ne lui a pas plu. Il était convenu d’arrêter le traitement de Juliette à une date x et je l’ai arrêté une semaine plus tôt… « D’autres confrères vous aurais mis dehors » me lance—t-il avant de rajouter « ça ne m’étonne pas de vous ».
Catastrophe ! Je me suis torpillée. Il n’a pas accepté la première fois, maintenant que je l’ai contrarié, c’est râpé ! Et puis que signifie ce « ça ne m’étonne pas de vous » ? Je ne me dégonfle pourtant pas et lui tend ma farde… il accepte ! Peut-être qu’il a trouvé mes bulletins intéressants. Peu importe ses raisons du moment qu’il accepte de s’occupe de mon cas.
La prochaine étape est une série de tests chez une neuropsychologue.
Faire de son mieux à un test auquel on voudrait échouer
La neuropsychologue consulte mes bulletins et m’interroge sur mes difficultés présentes et passées. Je fais ensuite une série de tests. Je fais de mon mieux mais espère secrètement avoir des résultats en dessous de la moyenne. Histoire de recevoir mon diplôme de TDA/H.
Sur une feuille, je dois chercher un symbole parmi une multitude d’autres lui ressemblant. Ensuite, d’autres tests, informatisés cette fois-ci, se succèdent. Tout est passé au peigne fin : attention divisée, attention soutenue, attention auditive, attention visuelle, inhibition, fonctions exécutives, mémoire de travail etc. Je fais de mon mieux. Malgré mes efforts, je fais des erreurs et je suis assez lente.
En conclusion, pour la neuropsychologue : « les résultats aux tests d’attention, le déficit de la mémoire de travail, les éléments de l’anamnèse avec notamment les remarques des enseignants dans les bulletins lorsque la patiente était enfant, et les résultats aux questionnaires de Copeland semblent tous indiquer la présence d’un trouble de l’attention. »
Un rendez-vous psychédélique
Potentiels évoqués. Moi, en tout cas, ça ne m’évoque rien du tout. Mon cerveau est relié à une machine par des fils solidement collés sur ma tête par le technicien.
Il me donne une feuille sur laquelle je dois compter des schtroumpfs. Je m’applique mais ces maudits schtroumpfs sont cachés parmi d’autres personnages de façon aléatoire. Je les compte un par un mais en plein milieu de l’exercice je ne me rappelle plus si j’ai déjà compté le grand schtroumpf ou le schtroumpf à lunette… Je recommence mais comment faire ? Commencer par le haut et descendre ou balayer de gauche à droite ? De toute façon, il ne sont pas alignés les saligauds alors peut importe la méthode, je n’y arrive pas.
C’est comme lire un chiffre du genre 111111. Vous y arrivez vous ? Moi pas. Je dois mettre mon doigt sur la feuille et me concentrer. Je ne vous dis pas sur un écran…on a quand même l’air un peu bête.
Enfin, revenons, à nos petits bonhommes bleus. Je ne peux pas mettre mon doigt sur la feuille car je ne peux pas la déposer. Je lâche une réponse un peu au hasard. Evidemment, ce n’est pas la bonne. Le technicien me propose de plier la feuille en deux pour que cela soit plus facile. Il y a effectivement moins de schtroumpfs mais je ne peux toujours pas mettre mon doigt sur la feuille… Finalement, la torture s’arrête et il me donne la réponse (il me manquait un schtroumpf). Je ne pouvais pas faire mieux de toute façon. Ce n’est pas trop grave car j’imagine que le but de l’exercice est d’analyser le cerveau en train de chercher les schtroumpfs et que la réponse importe peu.
L’exercice suivant est encore pire. Je dois accélérer ma respiration pendant trois minutes. Résultats : j’hyperventile. J’ai des vertiges, je me sens comme en transe, je commence à paniquer un peu. Je ralentis un peu mais une voix, qui se veut rassurante, m’indique que je dois continuer que je suis « déjà » à la moitié. Seulement, à la moitié ! Je continue, après tout, je suis à l’hôpital, je ne risque rien. Enfin, j’espère !
Je termine l’encéphalogramme par des flashs du genre stroboscopique dans les yeux.
Cet examen a dû être élaboré dans les années 70 par des scientifiques en plein trip d’LSD, je ne vois pas d’autres explications.
Le diagnostic tant attendu
Vendredi, 31 décembre 2010. Jour de mon rendez-vous final.
J’ai fait un affreux cauchemar cette nuit. J’avais les résultats de mes examens. Pas de TDA/H mais bien un grave problème au cerveau.
Au réveil, je me sens contrariée, je ne suis pas du genre à croire aux rêves prémonitoires mais un doute subsistera toujours tant que je n’aurai pas eu le diagnostic d’un spécialiste.
Sinon, je ne me serais pas donnée tout ce mal, je me serais autodiagnostiquée TDA/H et le sujet serait clos depuis quelques mois déjà.
14h35, j’attends mon tour dans le couloir de l’hôpital. A ma droite un enfant avec des béquilles et sa mère. La mère lui fait faire des fractions. Ca m’énerve. « Alors mon poussin, qu’est-ce qui est plus grand 3/10 ou 9/10 ? Tu peux simplifier 12/3 ? » Le gosse ne comprends rien et les explications de la mère sont peu claires. L’envie me brûle de répondre à la place du fils et de donner des leçons de pédagogie à la mère. C’est l’impulsivité, encore elle, qui me joue des tours. Ne surtout rien dire, ni à la mère, ni au fils.
Le spécialiste sort de son bureau, passe, me salue et s’en va je ne sais où. Les minutes passent. Il ne revient pas.
Je me dirige vers l’accueil pour m’assurer qu’il va bien revenir ! Il semblerait qu’il ait du se rendre en pédiatrie…
Demi tour, je le recroise. Il me fait un grand sourire et disparaît aussitôt dans un bureau – pas le sien, j’ai vérifié. Sans doute est-il allé chercher les résultats (les miens ?) d’un patient chez un confrère…
L’heure tourne, je commence à me sentir mal. Il se repointe dans le couloir, regarde à droite, à gauche, me voit toujours et fait entrer dans son bureau un mouflet et ses parents qui viennent juste d’arriver…
J’agonise mais quoi qu’il arrive je ne repartirai pas sans mes résultats, je retourne à l’accueil.
En fait, il m’a reconnu mais n’a pas fait lien avec le nom sur son agenda. Il cherchait une petite Pauline.
C’est un fait, je dénote un peu parmi tous ces diablotins et puis je ne suis même pas venue avec mes parents. Dommage, j’aurais peut-être eu droit, moi aussi, aux fractions. D’ailleurs, je vous l’ai dit, je connaissais les réponses !!! 9/10 est plus grand que 3/10 et 12/3 simplifiés fait 4. Je digresse un peu. C’est le problème d’attention.
Il me reçoit enfin. Il n’a pas mes résultats avec lui mais s’en souvient.
Le verdict tombe : TDA/H !
Toutes mes errances prennent un sens. Mes échecs passés ne viendront plus me hanter, ils n’étaient finalement que l’expression de ce trouble qui m’habitait.
« Ce qui fait l’homme, c’est sa grande faculté d’adaptation » Socrate.
Ce diagnostic va me permettre de me réorganiser pour reprendre des projets que j’avais abandonnés du fait de mes difficultés et de mon manque d’estime.
S’adapter. C’est déjà ce que j’ai fait naturellement ces dernières années mais je compte aller encore plus loin en ciblant les activités pour lesquelles mon TDA/H ne représente pas un handicap et en compensant un maximum pour celles que je n’aurai pas pu éviter.
Tout cela doit encore être mis en place mais je sais, qu’avec une bonne dose d’enthousiasme, je peux déplacer des montagnes !
« On devrait toujours être légèrement improbable » Wilde.
Le TDA/H ne m’aura pas apporté que du négatif, bien au contraire. Je lui dois certainement, en outre mes qualités d’adaptation, mon sens de l’humour et de l’autodérision, mes capacités d’empathie, ma curiosité et mon enthousiasme sans limite.
Mes actes manqués, mes lapsus, mes gaffes, font aussi partie de mon charme et je resterai comme Oscar Wilde le recommandait « légèrement improbable ».
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