Témoignage : être la maman de Lucas

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Il était une fois… , il faut bien que je commence comme cela, puisqu’on me demande ici de raconter une histoire.
Il est vrai que ce n’est pas n’importe quelle histoire, puisque c’est la sienne.

Donc, il était une fois une belle jeune fille de 23 ans, pleine de vie et de gaieté qui attendait ardemment que son ventre se décide enfin à accueillir un petit quelque chose qui lui tenait vraiment à cœur. Tous les mois, c’était le même dilemme. Viendront ? Viendront pas ? Quand, finalement, elles semblèrent tarder à arriver. Un jour passa, puis deux, puis trois et rien ne semblait se déclencher. Son petit cœur battait très fort et elle suivit la filière habituelle : visite chez le médecin, prise de sang et coup de téléphone miraculeux.

Juste un peu avant la fête de Noël, on lui annonça qu’elle n’avait pas le sida, ni l’hépatite, ni la syphilis et qu’elle avait déjà eut la toxoplasmose, elle en était ravie. Mais la meilleure des nouvelles se résumait en un seul mot : positif.

Elle se précipita au dehors, quelques courses urgentes à faire. Il lui fallait passer chez le boucher, chez le boulanger, et au grand magasin et elle pressa le pas sur le chemin du retour. Il fallait que tout soit près pour le retour de monsieur, qui aspirait toujours au repos après une journée de travail. S’il avait pu deviner, sûrement qu’il se serait dépêché lui aussi.

Elle installa une jolie nappe, de la belle vaisselle, et une bougie au milieu de la table. Puis, elle déposa délicatement sur l’assiette de son conjoint un adorable petit paquet emballé dans du papier enfantin, mignon à croquer. Il lui dirait que leur vie allait changer mieux que des mots auraient pu le faire. Dans un écrin transparent, une paire de petits chaussons roses attendaient de faire le bonheur de ce couple jeune marié.

La réaction du futur papa ne se fit pas attendre, il sauta de joie et l’embrassa en la serrant si fort qu’elle crut qu’elle allait étouffer. Neuf mois passèrent. Neuf mois d’une attende bien trop longue à son goût. Mais elle n’avait pas d’autre choix et se résigna à être patiente. Quand le grand jour arriva enfin, elle hurla si fort que tout l’hôpital fut mis au courant de la venue du petit Lucas.
La sortie fût un peu pénible, mais finalement, il était là. Beau, magnifique… Non, c’est faux. Il était laid. Faut garder la tête sur les épaules n’est ce pas. On l’avait prit aux forceps et il avait la tête toute allongée, il était fripé comme s’il avait eut nonante ans, il était grand et beaucoup trop maigre. Mais elle l’aimait tant.

Quelques tétées plus tard, une bonne centaine, il avait déjà beaucoup de l’allure, et il devint vraiment un superbe bébé. Et là, elle l’avait la tête sur les épaules. On l’appelait le ver de terre, il bougeait tant qu’on avait du mal à le porter. Mais elle avait vite trouvé le système pour permettre à ce petit bout de quelques mois de s’épanouir en toute quiétude. Elle le portait coincé entre son bras et son avant bras, la tête de l’enfant vers l’extérieur. Heureux comme tout qu’il était de découvrir ainsi le monde qui l’entourait.

Les années passèrent et Lucas devenait toujours plus beau, avec des yeux à faire craquer le cœur le plus endurci qui soit. Il aimait bouger, c’était évident, mais elle aimait le voir courir dans toute la maison et prendre goût à tout. Il riait constamment, on voyait tant qu’il était heureux que toutes les peines de votre cœur s’envolaient sans laisser de trace.

Il venait d’avoir trois ans et il était temps pour lui de découvrir autre chose. L’école. Cette noble institution destinée à accueillir nos chers enfants avec la prétention de leur inculquer tout ce qu’ils doivent savoir pour devenir des hommes. Lucas a tout de suite aimé cela. Jouer, crier, courir, tout à son aise avec un sentiment de liberté énorme. Il ne s’occupait de rien ni de personne, il vivait à sa manière c’est tout. Son institutrice était la douceur même et savait faire de lui ce qu’elle en attendait. Elle avait compris ce qu’il était et l’aimait tel qu’il était.

L’année suivante, les choses commencèrent à devenir moins drôle. Qui est donc cette folle qui hurle toute la journée après moi ? Pourquoi veut-elle m’obliger à rester assis, moi qui n’en ai pas envie ? Et pourquoi dois-je donc toujours attendre mon tour ? Mon tour pour jouer, mon tour pour le tableau, mon tour pour aller à la toilette ? Et pourquoi est-il mal de mettre du marqueur noir sur toutes ces feuilles ridicules qu’elle me donne ?

Lucas ne comprenait pas, et petit à petit perdait ce sourire qui le caractérisait tant quand il était plus jeune. On l’appela à l’école, on lui dit sans prendre de gants que son fils était mauvais. Mauvais ? Qu’est-ce que ça veut dire « mauvais »? Lui qui était si beau, qui dessinait à la maison et qui était si gentil. C’est vrai qu’il remuait beaucoup, mais tout le monde est nerveux dans la famille, alors…

Faut consulter, qu’on lui dit. Consulter ? Qui ? Où ? Comment ? Pourquoi ? Alors elle consulta. Horreur et putréfaction. On lui parla d’un tas de choses qu’elle ne comprenait pas. Hyperactivité. Nervosité. Sport. Psychiatre. École spéciale. Ces mots pour elle n’avaient pas de sens. C’était son Lucas, son roi Lucas. Intelligent, gentil, doux, juste un peu nerveux… Mais son roi quand même.

Elle rentra la tête basse, si elle avait eut une queue elle l’aurait mise entre les jambes et elle frappa à la porte de son amie. Elle éclata en sanglots. Son amie la rassura, elle lui parla un peu d’hyperactivité et lui promit que le roi n’irait jamais à l’école spéciale, qu’il était bien trop intelligent pour ça. Elle lui donna une tonne de trucs et d’astuces pour que Lucas apprenne à se maîtriser.

Elle prit un an de congé, un an juste pour lui, pour préparer son entrée à l’école primaire. Toutes les après-midi elle les passait avec lui et lui apprenait patiemment à rester en place sur sa chaise, à colorier, à faire les travaux adaptés à son âge. Lucas était courageux, il apprenait, doucement, pendant que le ventre de maman s’arrondissait une nouvelle fois.
Parfois, ce n’était pas facile, il bougeait de sa chaise. Elle lui apprit à rester assis, elle commença par cinq minutes, puis dix, puis quinze. Il n’est jamais allé au-delà. Du moins, pas à quatre ans. Lucas ne semblait pas pouvoir être contrarié et rentrait dans des colères abominables dés que quelque chose ne se faisait pas assez vite, assez bien.

Il est rentré en première primaire. Il travaillait bien. Et elle continuait à le suivre de près. La seconde naissance avait eut lieu et sa fille sur les genoux, elle le faisait écrire, lire et compter. Il avait des résultats plus que bons, et elle était heureuse, maudissant ce docteur qui voulait envoyer son fils dans l’enseignement spécial.

Lucas perdait toutes ses affaires scolaires. C’était un problème. Mais elle avait acheté tout en grande quantité pour pouvoir tous les jours combler les manques de ce petit plumier. Son roi apprenait bien. Si heureuse qu’elle était. La petite du grandir un peu seule, dés que Lucas était à la maison, maman était auprès de lui. Les colères commençaient même à s’estomper, et tout allait si bien.

Un peu après Noël, les mots de l’institutrice commencèrent à faire leur apparition dans le journal de classe. Ces mots rouges qui se voient si bien entre les petites écritures maladroites faites au crayon. Les mots rouges qui vous glacent le sang.
Ils disaient toujours les mêmes choses : Lucas n’écoute pas en classe, Lucas se lève, Lucas ennuie ses petits camarades, Lucas n’est pas attentif à son travail… Alors maman a parlé avec Lucas, des heures et des heures. Et elle a parlé avec l’institutrice aussi. Elle était toujours d’accord, l’institutrice, mais rien ne changeait jamais. Et Lucas était toujours puni. Et maman parlait à Lucas. Ça allait mieux quelques jours et puis tout recommençait.

En deuxième et troisième année le même scénario se reproduisait. Maman parlait, Lucas se calmait, Lucas recommençait et Lucas était puni. Écris 100 fois : je dois être calme en classe, je ne peux pas me lever, je ne peux pas parler, je ne peux pas frapper mes camarades….. Elle avait demandé qu’on lui donne la possibilité de se défouler pour calmer sa fougue pendant la journée… Faire une commission pour le prof, courir seul dans la cours de récréation,… Mais il est tellement plus facile de faire copier.

Les camarades avaient prit Lucas en grippe. C’était l’emmerdeur, le gamin qui ne sait pas jouer, le gamin qui s’énerve tout le temps, le gamin à mettre sur le côté et dont il est si drôle de se moquer. Le sourire de Lucas avait totalement disparu. Et souvent il rentrait en larmes, voulant changer d’école pour fuir ce calvaire qu’il vivait. Ce calvaire il en était responsable, sans l’être vraiment, mais ça… qui pouvait le comprendre ?

Elle dit oui, on va te changer d’école. Là, tous les biens pensant se sont donnés le mot pour l’en empêcher. Ça ne servira à rien de le changer d’école, le problème vient de lui, c’est lui qui doit changer. Ici, on le connaît et on l’aime, et on va l’aider à devenir meilleur. Un peu sceptique, elle se laissa entraîner. Lucas pleura. Elle lui expliqua. Il l’a cru. Il avait séché ces larmes mais n’avait toujours pas retrouvé son sourire.

Le cœur vaillant et plein d’espoir, il était rentré en quatrième année, persuadé que l’avenir allait être meilleur pour lui. Il venait de commencer l’équitation et était ravi. Le contact avec l’animal faisait des miracles, Lucas se calmait sur son dos. Fier comme Artaban, il était magnifique dans son costume noir et elle était fière de lui. Tant de sport elle avait essayé par le passé sans que jamais son roi ne puisse s’y épanouir. Et là, elle avait trouvé la solution.

Le mois de septembre se déroulait bien, elle lui parlait souvent, pratiquement tous les jours et semblait mieux dans sa peau, même si le sourire n’était toujours pas la. Lui, il ne parlait pas beaucoup. Elle pensait que tout allait bien. Puis, au début du mois d’octobre, les larmes recommencèrent. Comment ne pas s’émouvoir devant tant de chagrin ! Elle alla trouver le directeur, l’institutrice, mais les discours étaient toujours les mêmes.

Elle et Lucas allaient d’espoirs en déceptions. Sa peine et sa souffrance étaient si grandes que sa cinquième année, il la ferait ailleurs, c’était garanti. Comme un cadeau ! Comme un nouveau départ ! Elle lui parla encore. On ne te connaît pas, si tu fais tout bien, on t’aimera, tu es si formidable qu’il ne peut pas en être autrement.

Lors de l’inscription, elle parla longuement avec la directrice, en lui expliquant le parcours du combattant qu’avait subi son roi. On allait l’aider, ici, c’est certain, tout allait changer. Lucas bondit de joie devant sa nouvelle école. Il arbora même un petit sourire. Le mois de septembre se passa, puis celui d’octobre commença puis se termina et le mot rouge refit son apparition dans le journal de classe.

Elle se fâcha. C’était un vendredi. Une colère sans limite prise au désespoir d’un futur sans avenir. Mais Lucas promit de s’améliorer, de faire des efforts. Elle était invitée à rencontrer l’instituteur le mardi. Le lundi, un nouveau mot rouge. Le désespoir était trop grand. Lucas frappait les petits, insultait les grands. Qu’avait-elle donc fait pour mériter cela ? Comment expliquer un tel comportement chez un enfant qui avait tout pour lui ? Une famille unie, denrée rare de nos jours, pas vraiment de problèmes d’argent, ce n’était pas un enfant battu, personne n’avait osé avoir envers lui des gestes déplacés… Alors pourquoi ? Pourquoi bon Dieu, était-elle donc maudite à ce point la ? Elle ne pouvait plus assumer. Elle était à bout de force. A bout d’argument. A bout de souffle et a bout d’espoir aussi.

Elle rencontra l’instituteur. Elle ne pu retenir ses larmes. Il lui raconta ce qu’elle savait déjà. Lucas ne respecte pas les autres, Lucas dérange la classe tout le temps, Lucas embête ses camarades… C’est dommage ajouta-t-il, il est si gentil dans le fond et si intelligent et le début de l’année avait si bien commencé… Merci de le lui dire… Elle rentra chez elle, sa décision était prise. Elle n’était plus capable de travailler, de s’occuper de sa maison, de sa fille, de son mari, de rien… La solution était le pensionnat.

Elle ne dit rien à personne et s’installa devant son téléphone. Combien elle en a donné des coups de fils ? Elle ne sait pas… Des dizaines… Ce ne fut pas facile, les portes se fermaient les unes derrières les autres. Mais finalement, une s’ouvrit. Toute grande. Un espoir ? Une délivrance ? Elle ne savait pas encore… Bien trop bas pour pouvoir encore penser. Lucas était inscrit, il commencerait lundi prochain. OUF.

On avait l’air de connaître le problème de l’hyperactivité, on lui rendit confiance. Elle pleura encore et encore malgré tout. Tout semblait bien trop difficile pour elle. On lui parla d’un médicament sur internet. Des Amphétamines, enfin juste des morceaux. Elle poussa un cri d’effroi. On veut me le détruire ! Pensa-t-elle.

Elle s’installa à son ordinateur, et se mit à chercher. Fini les longues soirées à discuter avec des gens de partout, elle avait plus important à faire. Elle découvrit un site sur le TDA/H et découvrit des choses incroyables, des choses qu’on ne lui avait jamais dites avant. Elle découvrit des mots que jamais elle n’avait associé à son fils avant cela : maladie, neurotransmetteur manquant, causes, effets, traitements, génétiques, hérédités. Elle comprit tout alors. Elle aurait voulu reculer dix ans en arrière. Tout effacer pour tout recommencer.

Dire qu’on avait jamais cessé de les accuser tous les deux. Ils semblaient être les seuls coupables de leur histoire et maintenant elle réalisait subitement que ce n’était la faute de personne. Et elle pleura encore plus fort. Elle lui avait fait tant de mal sans le vouloir. Tant de reproches qu’il ne méritait pas. Tant de choses qu’elle voudrait recommencer.

Elle se renseigna sur le médicament qui devait changer la vie de son petit roi. Elle demanda à tous les gens qui en donnaient à leurs propres enfants, aux médecins qu’elles connaissaient. Se réinstallant devant son téléphone, elle harcela les gens, pour savoir, pour comprendre, pour ne plus jamais se tromper. Elle expliqua à son roi qu’il ne devait plus jamais culpabiliser, plus jamais. Il était malade et on allait le soigner. Ce ne serait pas facile, mais ils y arriveront tous les deux.

Elle l’emmena voir des spécialistes, ils examinèrent Lucas sous toutes les coutures, de haut en bas, de long en large et en travers aussi. Le diagnostic fut le même que la dernière fois, mais cette fois-ci, ensemble ils organisèrent un service d’aide. Et ils rentrèrent plein d’espoir, une ordonnance à la main. Il faudrait attendre avant de commencer le traitement. Elle devait se rendre compte des changements qu’il occasionnerait pendant les vacances de Noël, une semaine et puis… l’espoir.

Elle cherche un pédopsychiatre pour lui. Elle voudrait le meilleur, même si c’est le plus cher. Ce n’est pas facile parce que Lucas n’est pas la semaine. Il en faut un qui le reçoive le vendredi en soirée ou le samedi… Encore une contrainte, encore un obstacle, mais elle en a surmonté d’autres… Et aujourd’hui ? Aujourd’hui, elle attend que la semaine prochaine finisse vite pour commencer ce médicament qui est pour Lucas la promesse d’un autre avenir et qui pourra l’aider à retrouver son sourire perdu il y a si longtemps, bien trop longtemps…

Je crois que j’ai été un peu longue, mais j’avais tant de choses à vous dire… Merci de m’avoir lue jusqu’au bout…

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